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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/147

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métamorphosé qu’elle m’avait fait espérer, elle me répondit que c’était qu’un monstre, désirant acquérir une beauté parfaite, s’y était lavé la tête et y avait laissé sa laideur sans qu’elle s’en aperçût.

L’ayant quittée, je me trouvai à l’entrée d’un bois où je vis des hommes montés sur des ânes qu’ils s’efforçaient de faire courir plus vite que ne permettait leur nature. C’était qu’ils avaient hâte de poursuivre d’autres hommes tout nus, qui se lançaient de taillis en taillis pour éviter les coups de certaines flèches qu’ils leur jetaient. En ayant attrapé deux en cette chasse, je fus tout étonné qu’ils ouvraient leur poitrine, qui se fermait à boutons, et qu’ils en tirèrent leur cœur fait en forme de trèfle.

Une fontaine voisine leur servit à les laver, et, les ayant mis dans un plat d’argent, ils les portèrent à une majestueuse dame qui était à table sous un pavillon et qui, en ayant mangé un morceau, les cria très bien, leur disant qu’ils n’avaient rien apporté d’assez délicieux pour elle, à qui la fièvre avait fait perdre l’appétit. Alors, me montrant du doigt, elle leur commanda de prendre mon cœur et leur assura que ce lui serait une viande très savoureuse. Dès que j’eus vu qu’ils se mettaient en devoir de lui obéir je me pris à courir si fort qu’ils ne me purent atteindre.

Toute ma défense était, en fuyant, de leur dire que je n’avais point de fenêtre au corps, aisée à ouvrir, par laquelle ils me pussent tirer ce que leur avait demandé leur maîtresse.

Je les avais perdus de vue, quand j’aperçus tous les maîtres que j’avais quittés, divisés en deux bandes armées. Il en partit trois d’un côté et trois d’un autre, qui se