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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/158

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— En vérité, dit le gentilhomme, je voudrais que vous ne me fussiez point redevable de cette sorte-là, et je suis marri maintenant de ce que je vous réveillai, d’autant que votre songe eût été plus long et que le plaisir que je reçois à vous l’ouïr raconter eût été de même mesure. Mes oreilles n’ont jamais rien entendu de si agréable. Mon Dieu ! que vous êtes heureux de passer la nuit parmi de si belles rêveries ! Si j’étais que de vous, je passerais plus des trois quarts de ma vie à dormir ; car pour le moins j’aurais par imagination tous les biens que la fortune me dénierait. Hé ! dites-moi de grâce, de quels breuvages usez-vous pour faire de si plaisants songes ?

— Moi, dit Francion, je bois à l’accoutumée du meilleur vin que je puisse trouver. Si le dieu Morphée me visite quelquefois, ce n’est point qu’il soit appelé à moi par artifice : il se tient auprès de ma couche de son bon gré. Au reste, je ne trouve point qu’il y ait tant de plaisir à rêver comme j’ai fait que vous deviez souhaiter qu’une pareille chose vous arrivât. Car représentez-vous les inquiétudes que j’ai eues ; ne sont-elles pas bien plus grandes que la joie que j’ai ressentie ? L’on m’a battu d’un côté, je suis chu d’un autre, et partout il m’est advenu quelque chose de sinistre.

— Ce qui me semble le plus facétieux, dit le gentilhomme, c’est que le palefrenier du soleil vous jeta dedans le bassin des âmes. Tout aujourd’hui je vous ai vu cracher, et je pense que c’est que vous videz celles que vous y avalâtes.

— Ma foi, l’imagination en est bonne, dit Francion ;