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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/161

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furent formées, et le procès se vit en état d’être jugé par le bailli d’une des principales villes de notre pays. Mon père, qui eût mieux aimé aller à l’assaut d’une ville qu’à la sollicitation d’un juge, ou donner trois coups d’épée que d’écrire ou de voir écrire trois lignes de pratique, fut le plus empêché du monde. Il ne savait par quel côté se prendre pour bien mener son affaire ; et enfin, considérant la force que les présents ont sur des âmes viles, comme celles des personnes qui sont maintenant élevées aux charges de judicature, il se délibéra de donner quelque chose d’honorable à M. le bailli.

Ce qui lui sembla le mieux convenir fut une pièce de satin pour lui faire une soutane ; en ayant fait l’achat, il s’en alla recommander son procès à son juge, qui lui assura qu’il lui rendrait la justice. Mon père, laissant son laquais à la porte, avait pris le satin sous son bras. Le juge, ne sachant pas ce que c’était qu’il portait, lui demanda :

— Ne portez-vous pas là un sac ? Avez-vous encore quelques pièces à me montrer ?

— Oui, monsieur, ce dit mon père, c’est une pièce de satin qui m’a été baillée par un marchand en payement de quelque somme qu’il me devait, et je prends la hardiesse de vous la présenter, afin qu’elle vous fasse souvenir des autres pièces de mon procès. Excusez si ce n’est un don digne de votre mérite.

Le bailli, retroussant alors ses moustaches et regardant mon père avec un œil sévère, lui dit :

— Comment, monsieur ! pour qui me prenez-vous, moi qui suis un juge royal dont la candeur est connue en