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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/162

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tous lieux ? Croyez-vous qu’il soit nécessaire de me faire des présents pour m’obliger à visiter les pièces d’un procès ? Ne sais-je pas bien à quoi mon devoir m’oblige ? Allez, allez, je n’ai que faire ni de vous ni de votre satin : encore que mon office me coûte bien cher, je ne veux point en regagner l’argent iniquement, il me suffit d’avoir de l’honneur et de l’autorité ; apprenez à ne plus essayer une autre fois de corrompre ceux qui sont incorruptibles. Est-ce votre procureur qui vous a conseillé cela ? Si je savais que ce fût lui, je lui défendrais de venir aux plaids d’un an, car il doit être mieux instruit que vous de ce qui concerne ma charge.

Lui semblant, à entendre les paroles et à voir les mines de son juge, qu’il était en grande colère, il reprit son satin sous son manteau, et, lui ayant fait une humble révérence, s’en alla sans lui rien dire. La femme, qui l’avait ouï parler d’une autre chambre, et qui ne désirait pas laisser échapper le gain qui se présentait, s’en vint à sa rencontre, et lui dit courtoisement :

— Monsieur, vous avez vu, mon mari est un peu fâcheux, il n’y fallait pas aller de la sorte que vous y avez été ; baillez-moi votre satin, je lui en ferai trouver le présent agréable.

Mon père s’était déjà résolu de s’en faire un habit, encore que ce ne fût pas bien sa coutume de porter du noir, parce qu’il le haïssait infiniment, étant une couleur funeste et malplaisante, qui n’appartient qu’à des gens qu’il n’aimait guère, comme bien contraire à son humeur martiale.

Le satin fut donc mis entre les mains de madame la