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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/163

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baillevesse[1], et monsieur le bailli, ne sachant pas qu’elle l’eût, se mit à la fenêtre de sa salle, et, voyant mon père passer par la cour, lui dit :

— Là, là, monsieur de La Porte, l’on vous pardonne celle-ci, pourvu que vous ne retombiez jamais en une pareille : vous laisserez ici ce que vous m’avez voulu donner : aussi bien vous serait-ce trop de peine de le remporter chez vous.

— Je l’ai déjà baillé à madame, ce dit mon père.

Après ceci, il s’esquiva doucement, et s’en alla droit chez son procureur, qui était des meilleurs qui se fassent. Il lui conta tout ce qui s’était passé avec son juge ; et l’autre lui dit sincèrement :

— Vous ne connaissez pas l’homme, l’on le devrait plutôt appeler preneur que bailli ; car il prend bien et ne baille guère. Il vous a demandé si c’était de mon avis que vous lui offriez un présent, parce qu’il sait bien que nous tous, qui connaissons son humeur, n’avons garde de conseiller à nos parties de faire comme vous : il fallait tout d’un train donner l’étoffe à sa femme, ou, pour le mieux, la lui faire tenir par un tiers, afin de cacher d’autant plus la corruption, et faire que monsieur conservât la renommée qui court de sa prud’homie.

Or, nonobstant le don que mon père avait fait, il perdit son procès tout au long, et fallut qu’il payât les frais et les épiceswkt qui se montaient à beaucoup, car le bailli aimait fort les sauces de haut goût. Son adverse partie avait su, du marchand qui lui avait vendu le satin, le présent qu’il en avait fait au juge, et, craignant que cela ne lui fit avoir gain de cause, il avait été voir aussi le bailli, pour le solliciter ;

  1. ndws : équivoque rabelaisienne au lieu de la forme régulière Baillive, cf. éd. Roy, t. I, p. 151.