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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/169

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par quelle fatalité la plupart de ces gens-là deviennent à demi-fous sur leur vieillesse. Ceux qui ont hanté les cours souveraines s’en étonnent. Les raisons les plus probables sont que, premièrement, pour la plupart, ils sont des âmes abjectes ; comme étant nés de parents de basse condition, et que, pour garder leur sotte gravité, ils se séquestrent des bonnes compagnies, et ne passent leur temps qu’à des choses qui les rendent d’autant plus stupides qu’elles sont les plus viles du monde.

Le rapporteur de mon père, parmi sa solitude ordinaire s’était rendu un vrai misanthrope ; personne ne se pouvait vanter de le savoir gouverner, car son humeur était intraitable : de sorte que ses parties ne devaient pas craindre qu’il favorisât l’un plus que l’autre. Tout ce qui pouvait advenir, était qu’il ne comprît pas bien l’affaire ; et certes c’était sa coutume de passer par-dessus, et de croire pourtant qu’il n’y avait personne qui l’entendît si bien que lui.

La première fois que mon père l’alla voir, il le prit d’abord pour un crieur de trépassés, le trouvant sur sa porte sans aucune suite, et lui pensa demander qui était mort au quartier. Mais un jeune homme bien grave, ayant ouvert la porte, lui fit une profonde révérence, ce qui lui donna à connaître que c’était le maître du logis. Il s’enquêta qui était ce jeune muguet, et l’on lui apprit que c’était le clerc de monsieur, qui de palefrenier était venu en ce degré où il ne s’oubliait pas à jouer de la harpe[1].

Pour ce coup-là, le conseiller ne fit rien paraître à mon père de son humeur bizarre ; mais une autre fois il lui en montra une partie, car il lui dit fort bien, comme il lui racontait son fait, qu’il était un ignorant, qu’il ne

  1. ndws : dérober, cf. Oudin, op. cit., p. 266 : idiotisme, desrober, par ce qu’en jouant de la harpe on a les mains crochuës (vulgaire).