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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/170

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savait ce qu’il voulait dire, et qu’il lui amenât son procureur, pour lui mieux expliquer son affaire.

Étant retourné le visiter quelques jours après, il s’aperçut qu’il avait une épée ; je ne sais quelle fantaisie lui avait pris à l’heure même de ne vouloir pas que l’on en portât chez lui, non plus que des éperons au palais : tant y a qu’il ôta incontinent une vieille hallebarde enrouillée d’un râtelier, qui était en sa salle basse, et, la brandissant au poing, se vint mettre en son perron sur son quant-à-moi, comme s’il eût voulu boucher le passage. Mon père lui ayant demandé pourquoi il faisait cela, il lui dit que, le voyant entrer en sa maison avec des armes, il croyait qu’il la voulût prendre d’assaut, et qu’il désirait la défendre.

Ceci n’était qu’une matière de risée ; mais il avait bien d’autres choses qui faisaient maudire à mon père l’heure qu’il avait commencé de plaider ; et enfin, quoi que lui conseillât son avocat, il s’en alla trouver son beau-père, auquel il parla de s’accorder à telle composition qu’il voudrait.

— Mon Dieu ! je vous supplie, lui dit-il, retirons-nous à la hâte de ce gouffre, où nous nous sommes imprudemment jetés ; autrement nous y serons engloutis. Pour moi, j’aimerais autant être en enfer que de plaider, et je pense que le plus grief supplice que l’on ait inventé pour les damnés, c’est de semer bien du discord entre eux, et de leur faire recevoir des injures dont ils ne peuvent avoir raison, quelques poursuites qu’ils fassent, et quelque matière qu’ils se donnent. Assurez-vous que nous trouverons à la fin que nous ne serons guère mieux partagés