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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/172

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Ainsi je naquis dauphin et je ne sais quand ce sera que je me verrai la couronne royale sur la tête. L’on but si plantureusement à ma santé par tout le logis, qu’il y parut bien aux tonneaux de notre cave. Maintenant il ne faut pas s’étonner si je bois bien ; car c’est que, me voyant en âge compétent, je veux faire raison à loyale mesure à tous ceux qui m’appelèrent dès ce temps-là au combat du verre, et je pense que je les y vaincrai.

Pour vous le faire court, ma mère n’étant pas en assez bonne disposition à son avis, se dispensa de me nourrir et de me bailler à une femme d’un village prochain pour me donner à téter. Je ne veux pas m’arrêter à juger si elle fit bien d’endurer que je prisse du lait d’une autre qu’elle, parce qu’en premier lieu je ne suis pas si mauvais fils que je reprenne ses actions ; et si je vous assure que cela ne m’eût importé en rien, d’autant que je n’ai point pris de ma nourrice des humeurs qui déplaisent aux hommes d’esprit et de courage. Il est vrai que je me souviens que l’on m’apprit, comme aux autres enfants, mille niaiseries inventées par le vulgaire, au lieu de m’élever petit à petit à de grandes choses, en m’instruisant à ne rien dire de badin[1] ; mais depuis, avec le temps, je m’accoutumai à ce qui est de louable.

Il faut que je vous conte, en passant, une petite chose qui m’arriva après que je fus sevré : j’aimais tant la bouillie, que l’on ne laissait pas de m’en faire encore tous les jours. Comme la servante tenait le poëlon dessus le feu dedans ma chambre, cependant que j’étais encore couché, l’on l’appela de la cour : elle laissa son poëlon à l’âtre, et s’en alla voir ce que l’on lui voulait. Tandis,

  1. ndws ; sot, ridicule, cf. Huguet, op. cit., p. 31.