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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/173

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un maître singe, que nourrissait secrètement depuis peu un de nos voisins, sortit de dessous ma couche où il s’était caché, et ayant vu, pensez, d’autres fois donner de la bouillie aux enfants, prit un peu de la mienne et m’en vint barbouiller tout le visage. Après, il m’apporta tous mes habits et me les vêtit à la mode nouvelle, faisant entrer mes pieds dans les manches de ma cotte et mes bras dedans mes chausses : je criai beaucoup, à cause que cet animal si laid me faisait peur ; mais la servante étant empêchée, ne se hâtait point de venir pour cela, d’autant que mon père et ma mère étaient à la messe. Enfin le singe, ayant accompli son bel ouvrage, sauta de la fenêtre sur un arbre, et de là s’en retourna chez lui.

La servante, revenant peu après, et me trouvant en l’état où il m’avait laissé, fit plus de cent fois le signe de la croix, en écarquillant les yeux et donnant des signes de son étonnement ; elle me demanda, avec des caresses, qui m’avait accommodé ainsi ; et, parce que j’avais déjà ouï parler du nom de diable, quelque chose laide, je dis que c’était un petit garçon laid comme un diable ; car je prenais le singe, qui avait une casaque verte, pour un petit garçon. Mais la servante qui y allait tout à la bonne foi considérant qu’il n’était point entré d’enfant chez nous, ni personne du monde d’extraordinaire, crut fermement qu’un mauvais esprit m’était venu voir ; et, après m’avoir nettoyé et habillé, jeta plus d’une pinte d’eau bénite par la chambre.

Ma mère, étant revenue de l’église, la trouva encore en cette occupation, et lui demanda pour quel sujet elle faisait cela. Elle lui conta, avec une simplicité très grande