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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/176

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chaîne de fer dedans la chambre basse. Il demanda à un laboureur, qui demeurait là-dedans, à qui appartenait cette bête-là.

— Monsieur, répondit-il, elle est à un gentilhomme dont je suis affectionné, et qui me l’a baillé en garde. Je voudrais bien n’en être point chargé, elle me fait mille maux : j’ai été contraint de l’enchaîner ainsi, parce que, deux jours après que je l’eus, elle alla à votre maison, où j’aurais peur qu’elle ne retournât faire quelque dommage si je lui donnais la liberté. Mon père, s’étant enquis alors particulièrement du jour préfixwkt que le singe était venu chez nous, découvrit que c’était là le démon dont l’on avait tant parlé et tant eu de crainte.

C’est pour vous dire comme les âmes basses se trompent bien souvent, et conçoivent de vaines peurs ainsi que faisaient nos gens. Vous qui vivez auprès des villages ; vous pouvez savoir qu’il n’y a si petit hameau où il ne cours le bruit qu’il y revient quelques esprits ; et cependant, si l’on avait bien cherché, l’on trouverait que les habitants ont fondé ces opinions-là sur des accidents ordinaires et naturels, mais dont la cause est inconnue à leurs esprits simples et grossiers. C’est un grand cas que si petit que j’aie été, je n’ai jamais été sujet à de tels épouvantements ; car même, lorsque nos servantes, me voulant corriger de quelque chose qui ne leur plaisait pas, me disaient qu’elles me feraient manger à cette bête qui m’était venue voir un matin dans le lit, j’avais aussi peu de crainte que si elles ne m’eussent point menacé.

Un jour, mon père et ma mère s’en allèrent à quelque six lieues de nous et, menant mes sœurs en leur compa-