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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/177

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gnie, ne laissèrent rien que moi au logis avec une servante et quelques valets, qui en leur absence, se résolurent de faire ripailles aux dépens de leur maître, qui avait bon dos, à ce qu’ils disaient. Mais, parce que je nuisais beaucoup à leur dessein, ils eussent voulu que j’eusse été encore au ventre de ma mère. Quand ils apprêtaient quelque chose de bon, ils me disaient à tous coups :

— Vous en mangerez ; mais n’en parlez pas à votre maman, Francinet !

Car l’on m’appelait ainsi, ou bien Francionet, parce que, comme vous savez, l’on a cette coutume en France d’appeler les enfants par un diminutif de leur nom, de sorte que l’on en fait parfois de bien plaisants, comme était celui de ma sœur aînée, qui a nom Élisabeth ; et l’on l’appelait Babay — j’aimerais autant dire Barbet ou Barbichon. — Pour moi, je promettais donc à notre chambrière de garder le silence et j’y étais bien contraint, si je voulais manger du bon-bon que je voyais (ce sont des mots badins que l’on apprend aux enfants).

J’avais de la curiosité beaucoup, et aperçus qu’un valet prenait le chemin du colombier pour y aller querir quelques pigeons, afin de faire chère entièrewkt. Je le voulais suivre à toute force, quoique l’on me dit que c’était là que demeurait la bête ; et j’y eusse été si la servante ne m’eût retenu bien ferme par le bras, afin que je ne visse point leur larcin : mais quelque bonne garde qu’ils fissent, je leur vis tuer les pigeons et mangeai néanmoins de la fricassée sans en faire aucune frime.

Mon père et ma mère étant un jour après, sur l’heure de souper, ils commandèrent que l’on leur apprêtât vitement