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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/179

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enfants des sujets de mon père, nourris grossièrement sous leurs cases champêtres. Je me portais jusques à leur remontrer de quelle façon il fallait qu’ils se comportassent : mais, s’ils ne suivaient mes préceptes, je les chargeais aussi d’appointement[1], de manière que j’avais souvent des querelles contre eux ; car ces âmes viles, ne connaissant pas le bien que je leur voulais, et ne considérant pas que, qui bien aime, bien châtie, se cabraient à tous les coups, et me disaient en leur patois : « Ha ! parce que vous êtes monsieur, vous êtes bien aise », et mille autres niaiseries et impertinences rustiques. Quelquefois ils se plaignaient à leurs parents de ma sévérité, et faisaient tant qu’ils venaient prier mon père de m’enchargerwkt de ne plus battre leurs enfants, qui n’osaient pas se revancher contre moi. Mais je plaidais si gentiment ma cause, que l’on était contraint d’avouer que j’avais bonne raison de les punir des fautes qu’ils commettaient. Quelquefois, j’entendais discourir mon père des universités, où sont les collèges, pour instruire la jeunesse, tous remplis d’enfants de toute sorte de maisons, et je souhaitais passionnément d’y être, afin de jouir d’une si bonne compagnie, au lieu qu’alors je n’en avais point du tout, si ce n’était des badauds de village. Mon père, voyant que mon naturel me portait fort aux lettres, ne m’en voulait pas distraire, parce qu’il savait que, de suivre les armes comme lui, c’était un très méchant métier.

Or, parce que les collèges de notre pays n’étaient pas à sa fantaisie, malgré les doléances de ma mère, ayant affaire à Paris, il m’y amena et me donna en pension à un maître de collège, que quelqu’un de ses amis lui avait

  1. ndws : charger d’appointement, idiotisme, bien battre, cf. Oudin, op. cit., p. 15 (jeu de mot sur poings) cf. éd. Roy, t. I, p. 170.