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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/181

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signe, qui me faisait encourir une punition. Pour moi, je pensai qu’il fallait que je fisse comme les disciples de Pythagoras, dont j’entendais assez discourir, et que je fusse sept ans à garder le silence comme eux, puisque, sitôt que j’ouvrais la bouche, l’on m’accusait avec des paroles aussi atroces que si j’eusse été le plus grand scélérat du monde ; mais il eût été besoin de me couper la langue, car, en étant bien pourvu, je n’avais garde de la laisser moisir. À la fin donc, pour contenter l’envie qu’elle avait de caqueter ; force me fut de lui faire prononcer tous les beaux mots de latin que j’avais appris, auxquels j’en ajoutais d’autres de français écorché, pour parfaire mes discours.

Mon maître de chambre était un jeune homme glorieux et impertinent au possible ; il se faisait appeler Hortensius par excellence, comme s’il fût descendu de cet ancien orateur qui vivait à Rome du temps de Cicéron, ou comme si son éloquence eût été pareille à la sienne. Son nom était, je pense, le heurteur ; mais il l’avait voulu déguiser, afin qu’il eût quelque chose de romain et que l’on crût que la langue latine lui était comme maternelle. Ainsi plusieurs auteurs de notre siècle ont sottement habillé leurs noms à la romaine, afin que leurs livres aient plus d’éclat et que les ignorants les croient composés par des plus anciens personnages. Je ne veux point nommer ces pédants-là ; il ne faut qu’aller à la rue Saint-Jacques, l’on y verra leurs œuvres et l’on y apprendra qui ils sont.

Mais, encore que notre maître commît une semblable sottise, et qu’il eût beaucoup de vices insupportables, nous n’en recevions pas d’affliction comme de voir sa très