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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/182

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étroite chicheté, qui lui faisait épargner la plus grande partie de notre pension pour ne nous nourrir que de regardeaux[1]. J’appris alors, à mon grand regret, que toutes les paroles qui expriment les malheurs qui arrivent aux écoliers, se commencent par un P, avec une fatalité très remarquable ; car il y a pédant, peine, peur, punition, prison, pauvreté, petite portion, poux, puces et punaises, avec encore bien d’autres, pour chercher lesquels il faudrait avoir un dictionnaire et bien du loisir.

À déjeuner et à goûter, nous étions à la miséricorde d’un méchant cuistre qui, pour ne nous point donner notre pitance, s’en allait promener, par le commandement de son maître, à l’heure même qu’elle était ordonnée, afin que ce fût autant d’épargné et que nous écoulassions jusques au dîner, où nous ne pouvions pas nous recourrewkt ; car l’on ne nous baillait que ce qu’on l’on voulait bien que nous mangeassions. Jamais l’on ne nous présentait de raves, de salade, de moutarde, ni de vinaigre, craignant que nous n’eussions trop d’appétit.

Hé Dieu ! quelle piteuse chère, au prix que faisaient seulement les porchers de notre village ! Encore disait-on que nous étions des gourmands, et fallait-il mettre la main dans le plat l’un après l’autre par certain compas. Notre pédant faisait ses mignons de ceux qui ne mangeaient guère et se contentaient d’une fort petite portion qu’il leur donnait. C’étaient des enfants de Paris, délicats, à qui il fallait peu de nourriture ; mais, à moi, il m’en fallait beaucoup plus, d’autant plus que je n’avais pas été élevé si mignardement : néanmoins je n’étais pas mieux partagé : et si mon maître disait que j’en avais plus que

  1. ndws : n’avoir rien à manger sur la table et se regarder l’un l’autre, ou bien regarder manger les autres, cf. Oudin, op. cit., p. 472, cité par éd. Roy, t. I. p. 174.