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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/183

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quatre, que je ne mangeais pas, mais que je dévorais. Bref, je ne pouvais entrer en ses bonnes grâces. Il faisait toujours à table un petit sermon sur l’abstinence, qui s’adressait particulièrement à moi ; il alléguait Cicéron, qui dit, qu’il ne faut manger que pour vivre, non pas vivre pour manger. Là-dessus il apportait des exemples de la sobriété des anciens, et n’oublia pas l’histoire de ce capitaine qui fut trouvé faisant rôtir des raves à son feu pour son repas. De surplus, il nous remontrait que l’esprit ne peut faire ses fonctions, quand le corps est par trop chargé de viande, et disait que nous avions été mis chez lui pour étudier, non pas pour manger hors de raison, et qu’à ce sujet nous devions plutôt songer à l’un qu’à l’autre. Mais, si quelque médecin se fût trouvé là et eût tenu notre parti, comme le plus juste, il eût bien prouvé qu’il n’est rien de pire à la santé des enfants que de les faire jeûner. Et puis voyez comme il avait bonne raison de prêcher l’abstinence : tandis que nous étions huit à l’entour d’une éclanchewkt de brebis, il avait un chapon à lui tout seul. Jamais Tantale ne fut si tenté aux enfers par les pommes où il ne peut atteindre que nous l’étions par ces bons morceaux où nous n’osions toucher.

Quand quelqu’un de nous avait failli, il lui donnait une pénitence qui lui était profitable : c’était qu’il le faisait jeûner quelques jours au pain et à l’eau, ainsi ne dépensant rien d’ailleurs en verges. Aux jours de récréation, comme à la Saint-Martin, aux Rois, et à Carême-prenant, il ne nous faisait pas apprêter une meilleure cuisine, si nous ne donnions chacun un écu d’extraordinaire ; et encore je pense qu’il gagnait beaucoup sur les