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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/184

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festins qu’il nous faisait, d’autant qu’il nous contentait de peu de chose, nous qui étions accoutumés au jeûne ; et, ayant quelque volaille bouillie avec quelques pièces de rôti, nous pensions être au plus somptueux banquet de Lucullus, dont il ne nous parlait jamais qu’en l’appelant infâme, vilain et pourceau. De cette façon, il s’enrichissait au détriment de nos pauvres ventres, qui criaient vengeance contre lui ; et certes je craignais le plus souvent que les araignées ne fissent leurs toiles sur mes mâchoires à faute de les remuer, et d’y envoyer balayer à point nommé. Dieu sait aussi quelles inventions je trouvais quelquefois pour dérober ce qui m’était nécessaire.

Nous étions aux noces lorsque le principal, qui était un assez brave homme, festoyait quelques-uns de ses amis ; car nous allions, sur le dessert, présenter des épigrammes aux conviés qui, pour récompense, nous donnaient tant de fruits, tant de gâteau et de tarte, et quelquefois tant de viande, lorsqu’elle n’était pas encore desservie, que nous décousions la doublure de nos robes pour y fourrer tout, comme dans une besace.

Les meilleurs repas que j’ai pris sur les plus grands princes du monde ne m’ont point été si délicieux que ceux que je prenais après avoir fait cette conquête par ma poésie. Ô vous, misérables vers que j’ai faits depuis, encore ne m’avez-vous jamais fait obtenir de salaire qui valût cettui-là, que je prisais autant qu’un empire !

J’étais aussi bien aise, lorsqu’aux bonnes fêtes de l’année l’avocat à qui mon père m’avait recommandé m’envoyait querir pour dîner chez lui ; car, à cause de moi, l’on rehaussait l’ordinaire de quelque pâté de godi-