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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/185

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veau que j’assaillais avec plus d’opiniâtreté qu’un roi courageux n’assiégerait une ville rebelle. Mais, le repas fini, mon allégresse était bien forcée de finir aussi ; car l’on m’interrogeait sur ma leçon, et on me menaçait de mander à mon père que je n’étudiais point, si l’on voyait que j’hésitasse quelque peu en répondant. C’est une chose apparente que, de quelque naturel que soit un enfant, il aime toujours mieux le jeu que l’étude, ainsi que je faisais en ce temps-là, et toutefois je vous dirai bien que j’étais des plus savants de ma classe.

Aussi, quand l’avocat me reconnaissait, il me donnait toujours quelques testonswkt qu’il mettait sur les parties qu’il faisait pour mon père ; de cet argent, au lieu d’en jouer à la paume, j’en achetais de certains livres que l’on appelle des romans, qui contenaient les prouesses de certains chevaliers.

Il y avait quelque temps qu’un de mes compagnons m’avait baillé à en lire un qui m’enchanta tout-à-fait ; car je n’avais jamais rien lu que les épîtres familières de Cicéron et les comédies de Térence. L’on m’enseigna un libraire du Palais qui vendait plusieurs histoires fabuleuses de la même sorte ; et c’était là que je portais ma pécunewkt. Mais je vous assure que ma chalandise était bonne ; car j’avais si peur de ne voir jamais entre mes mains ce que je brûlais d’acheter, que j’en donnais tout ce que le marchand m’en demandait, sachant bien à qui il avait affaire. Je vous jure, monsieur, que je désire presque d’être aussi ignorant à cette heure qu’en ce temps-là ; car je goûterais encore beaucoup de plaisir, en lisant de tels fatras de livres, au lieu que maintenant il faut que je cherche ail-