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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/186

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leurs de la récréation, ne trouvant pas un auteur qui me plaise si je ne veux tolérer ses fautes ; car, pour n’en mentir point, je sais bien où sont tous les livres, mais je ne sais pas où sont les bons : une autre fois je vous prouverai qu’il n’y en a point du tout et qu’à chacun il y a de très grands vices à reprendre.

C’était donc mon passe-temps que de lire des chevaleries ; et faut que je vous die que cela m’époinçonnaitwkt le courage, et me donnait des désirs nonpareils d’aller chercher les aventures par le monde ; car il me semblait qu’il me serait aussi facile de couper un homme d’un seul coup par la moitié qu’une pomme. J’étais au souverain degré des contentements quand je voyais faire un chapelis[1] horrible de géants, déchiquetés menu comme chair à pâté. Le sang qui pissait de leurs corps à grand randonwkt faisait un fleuve d’eau rose où je me baignais moult délicieusement ; et quelquefois il me venait en l’imagination que j’étais le même damoisel qui baisait une gorgiase[2] infante qui avait les yeux verts comme un faucon. Je vous veux parler en termes puisés de ces véritables chroniques. Bref, je n’avais plus en l’esprit que rencontres, que tournois, que châteaux, que vergers, qu’enchantements, que délices et qu’amourettes ; et, lorsque je me représentais que tout cela n’était que fiction, je disais que l’on avait tort néanmoins d’en censurer la lecture, et qu’il fallait faire en sorte que dorénavant l’on menât un pareil train de vie que celui qui était décrit dedans mes livres : là-dessus je commençais déjà à blâmer les viles conditions à quoi les hommes s’occupent en ce siècle, lesquelles j’ai aujourd’hui en horreur tout à fait.

  1. ndws : combat acharné, cf. éd. Roy, t. I, p. 180.
  2. ndws : gorgiase, vieux mot qui signifiait autrefois une personne grasse, et de belle taille, qui avait une belle gorge, une belle représentation. Furetière, op. cit., vue 698 Gallica.