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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/188

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à l’heure d’aller prier un autre maître, son voisin, de venir goûter avec lui : je m’en allai, et le ramenai avec moi jusque dans sa chambre, où je ne vis point d’autres préparatifs sur la table que mes gâteaux, dont il ne me donna pas une miette à manger, tant il fut vilain. Voyez un peu comme il savait bien pratiquer les ordonnances de la lésine, friponnant sur ses disciples pour festoyer ses amis !

— Vous en aurez, monsieur, le raquedenaze[1], ce dis-je en moi-même ; dussé-je avoir la salle, je vous servirai d’un plat de mon métier.

L’occasion de me venger s’offrit peu après à souhait. Le père d’un de mes compagnons lui avait fait présent d’un pâté de lièvre, qu’il avait dit être bon la première fois qu’il en avait tâté à notre table ; car il se plaisait, je pense, à manger ce qu’il avait d’exquis afin de nous faire enrager d’envie, et même il n’en donna pas au fils de celui qui le lui avait envoyé. J’ouïs qu’il commanda de le porter en son étude, parce qu’il en faisait autant d’état que de ses livres, aimant autant la nourriture de son corps que celle de son esprit. Ce lieu, où il l’enferma, n’était entouré que de planches à demi déboîtées, et couvertes d’un côté et d’autre de vieille natte que je décousis en son absence ; et, comme j’étais fort menu alors, un Gascon[2] de mes compagnons plus fidèles, levant un aiswkt de toute sa force, je me glissai à la fin dedans le cabinet, autant sacré à Bacchus et à Cérès, qu’aux muses : je regardai sous les planches, et détournai tous les livres, sans trouver aucune chose.

Ayant dit mon malheur à celui qui m’attendait de l’autre côté avec grande impatience, j’avais déjà passé

  1. ndws : raquedenare ou bien raquedenaze, un avare, cf. Oudin, op. cit., p. 468.
  2. ndws : [quelqu’un] qui dérobe volontiers ; idem gasconner, prendre, dérober (vulgaire), cf. Oudin, op. cit., p. 247.