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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/189

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mes deux pieds entre les ais pour ressortir à reculons, lorsqu’en me baissant j’avisai une grande caisse où l’année précédente on avait fait un jardin. Un certain démon me conseillant, je m’en retournai vers ce côté-là et trouvai le pâté enchassé là-dedans. La croûte était dure et de fort peu de saveur, n’y ayant point de beurre ; voilà pourquoi, songeant aussi que ce serait trop que d’emporter tout, je la laissai, et ne pris que la chair, au lieu de laquelle je mis dedans un chausse-pied, qui se trouva sous ma main. Ayant posé le couvercle, j’empaquette le lièvre dans du papier, le donne à mon compagnon, et vais après avec une aussi grande ardeur que si je l’eusse poursuivi à la chasse. Je vous jure qu’il ne demeura guère entre nos mains, et que nous n’eûmes que faire de songer où nous pourrions le cacher sûrement ; car nous le mîmes dedans notre coffre naturel avant que le soir fût venu ; et il eût fallu que nous eussions au corps une fenêtre, comme désirait Momus, pour découvrir que nous en étions les larrons.

Hortensius ne songea pas à son pâté jusqu’au lendemain, qu’il en eut un ressouvenir, et commanda à son cuistre d’aller prier à déjeuner un autre vieil pédant, sien compagnon de bouteille, et de lui dire qu’il lui ferait manger d’un bon lièvre, à la charge qu’il apportât une quarte de son bon vin, pour servir de remède à la soif que leur causerait l’épice. Ce pédant ne faillit pas à venir tout à l’heure avec autant de vin qu’Hortensius avait dit, et sitôt qu’il fut dans la chambre, le cuistre alla querir le pâté dedans la caisse et le posa sur sa table, où il ne fut pas sitôt que le vieil pédant prit un couteau qu’il