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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/190

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fourra par l’endroit même où la croûte était entamée, pensant qu’elle ne le fût point, et tournoya tout à l’entour tenant une main ferme sur la couverture, et disant :

— Çà, çà, il faut voir ce que ce pâté-ci a dedans le ventre Ah ! monsieur Hortensius, que vous avez ici un bon couteau. Il coupe tout seul, je ne m’efforce point presque.

Hortensius se mourait de rire, voyant qu’il était si sot, qu’il passait le couteau par le lieu où il était déjà coupé ; et l’autre disait ; en ôtant la couverture :

— Qu’avez-vous à rire ?

Alors, ses yeux ne pouvant pas discerner ce qui était dedans la croûte, il mit ses lunettes, et, voyant le chausse-pied au lieu d’un lièvre, il crut qu’Hortensius s’était voulu moquer de lui et que c’était de cela qu’il faisait alors des risées : c’est pourquoi, ne supportant pas volontiers un tel affront, il reprit sa quarte sous sa robe de chambre, et s’en retourna en grommelant.

Hortensius, qui avait plus d’émotion que lui, le laissa sortir, sans songer à lui faire des excuses, et ne savait qui soupçonner du larcin du lièvre. Car, quant à son cuistre, à qui il l’avait donné à porter dans son étude, sa fidélité lui était si connue, qu’il n’avait garde de s’imaginer que ce fût lui. Ce bon serviteur était un autre soi-même, c’était son Achates, son Pirithoüs et son Pylade : sa bonté étant si grande, qu’elle couvrait l’inégalité de sa condition. Il avait l’argent en maniement, et ne ferrait point la mulewkt. Seulement il rognait notre portion, et, pour ce sujet, nous l’appelions les ciseaux d’Hortensius. Était-il croyable qu’il eût voulu aussi s’employer à rogner ce que son maître et son bon ami lui donnait franchement