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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/200

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que je n’avais encore fait aucun exploit de guerre, bien que je fusse à l’âge où les chevaliers errants avaient déjà défait une infinité de leurs ennemis, et je ne saurais vous exprimer le regret que j’avais de voir que mon pouvoir ne répondait pas à ma volonté.

Ne vous étonnez point si j’aimais mieux lire que d’écouter mon régent ; car c’était le plus grand âne qui jamais monta en chaire. Il ne nous contait que des sornettes, et nous faisait employer notre temps en beaucoup de choses inutiles, nous commandant d’apprendre mille grimauderies les plus pédantesques du monde. Nous disputions fort et ferme pour les places, et nous nous demandions des questions l’un à l’autre ; mais quelles questions pensez-vous ? Quelle est l’étymologie de Luna ? et fallait répondre que ce mot se dit : Quasi luce lucens aliena ; comme qui dirait, en français, que chemise se dit quasi sur chair mise. N’est-ce pas là une belle doctrine pour abreuver une jeune âme ? Nous passions les journées sur de semblables badineries, et celui qui répondait le mieux là-dessus portait la qualité d’Empereur. Quelquefois ce sot pédant nous donnait des vers à faire, et endurait que nous en prissions de tous entiers de Virgile, pour le mieux imiter, et que nous nous servissions encore, pour parfaire les autres, de certains bouquins comme de Parnasse et du Textor. S’il nous donnait à composer en prose, nous nous aidions tout de même de quelques livres de même étoffe, dont nous tirions toutes sortes de pierres pour en faire une capilotade à la pédantesque. Cela n’était-il pas bien propre à former notre esprit et ouvrir notre jugement ?