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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/202

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m’en fit aussi prendre un ; car c’était une tragédie où il ne venait que des monarques et des grands seigneurs en la scène, et même j’eus tant d’ambition, que je voulais aussi être le dieu Mercure en moralité latine qui se jouait aussi par intermèdes.

Jamais vous ne vîtes rien de si mal ordonné que notre théâtre. Pour représenter une fontaine, on avait mis celle de la cuisine, sans la cacher de toile ni de branchage, et l’on avait attaché des arbres au ciel parmi les nues. Nos habits étaient très mal assortis ; car il y avait le sacrificateur d’un temple de païens qui était vêtu, comme un prêtre chrétien, d’une aube blanche, et avait par-dessus la chape dont l’on se servait à dire la messe en notre chapelle. Au reste, la disposition des actes était si admirable, les vers si bien composés, le sujet si beau et les raisons si bonnes, qu’en ayant trouvé parmi des vieux papiers quelques fragments il y a deux mois, je pensai vomir tripes et boyaux, tant cela me fit mal au cœur. Mon Dieu ! ce dis-je, est-il possible que Francion ait proféré autrefois de si sottes paroles ? Et quant et quant, je jetai dans le feu cette horrible pièce.

Lorsque j’en jouai mon personnage, il n’y avait rien qui ne me semblât extrêmement bien fait, et je tâchais d’en imiter les vers, lorsque j’en voulais composer d’autres ; même j’étais si aveugle, qu’encore que j’en eusse trouvé la plupart dans des comédies imprimées, dans les farces de Pathelin et dans le roman de la Rose, d’où le pédant les avait frippés[1], je ne retranchais rien de la gloire que je lui donnais. Il faut que je vous conte quelques-unes des plaisantes impertinences qu’il commit en

  1. ndws : se dit aussi en parlant des Auteurs qui dérobent des autres qui ont écrit devant eux, des pensées, des vers qui ont déjà servi, ou qui sont usés. Ce Poëte nous donne cette Epigramme comme sienne ; mais elle est frippée de Martial. Furetière op. cit., t. I, vue 662.