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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/206

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je brûlais l’entêtait de telle manière, qu’avec les secousses que je lui donnais elle fut cause qu’en un instant il devint comme tout pâmé, et que ses esprits furent si affaiblis, qu’il ne me pouvait pas dire distinctement que je le laissasse. À n’en point mentir, je ne vous nie pas qu’il n’y eût beaucoup de malice de mon côté, et que je ne lui fisse ce traitement quasi tout exprès pour me venger de la cruauté qu’il avait aucunes fois exercée sur moi ; car, si mon compagnon eût gardé son personnage, je ne lui eusse pas fait souffrir tant de mal ; mais je vous assure bien que jamais, en quelque farce ni en quelque mômerie que ce soit, l’on n’a pris autant de contentement que l’on fit en nos jeux, où il arriva de si plaisants succès.

L’on me donna la gloire d’avoir le mieux fait de tous les acteurs, qui étaient pour la plupart des caillettes[1] de Parisiens qui, selon les sots enseignements du régent, rempli de civilité comme un porcher, tenaient chacun un beau mouchoir à la main par faute d’autre contenance et prononçaient les vers en les chantant, et faisant souvent un éclat de voix plus haut que les autres. Pour bien faire, je faisais tout le contraire de ce que mon maître m’avait enseigné ; et, quand il me fallait saluer quelqu’un, ma révérence était à la courtisane, non pas à la mode des enfants du Saint-Esprit, qu’il m’avait fallu contraindre d’imiter. Au reste, je ne faisais des gestes ni des démarches qu’aux lieux où la raison me contraint qu’il en était besoin : mais je me repentis bien à loisir d’avoir trop bien représenté la furie ; car mon régent voyant que tout le collège et beaucoup de gens d’hon-

  1. ndws : une caillette, idiotisme, un niais, cf. Oudin, op. cit., p 69.