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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/207

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neur de la ville s’étaient moqués de lui, voulut tirer de moi une vengeance, et, à la première faute que je commis, me déchiqueta les fesses avec des verges plus profondément qu’un barbier ne déchiquette le dos d’un malade qu’il ventouse.

En ce temps-là, je vivais avec Hortensius comme de coutume, sinon qu’il nous traitait encore plus mal que les années précédentes ; et, même, pendant l’hiver qui avait été extrêmement froid, voyant qu’il ne nous donnait point de bois, nous avions été contraints de brûler les ais de nos études, la paille de nos lits, et puis après nos livres à thème, pour nous chauffer. Un jour, il voulut faire la visite de ma bibliothèque, et, y trouvant force livres français d’histoires fabuleuses, il les emporta tous, disant qu’ils corrompaient mon bon naturel et me gâtaient l’esprit ; car c’était ainsi qu’il l’estimait. Il en trouva de si amoureux, qu’ils servaient beaucoup à enflammer son cœur, avec la vue de la fille de l’avocat, qui payait ma pension.

Notez que l’amour triomphe aussi bien du bonnet carré des pédants que de la couronne des rois. Ce qui l’invitait davantage à suivre l’empire de ce petit dieu est qu’il voyait sa puissance révérée et estimée de presque tous les livres des philosophes. Vaincu d’un si doux trait, il commença de rechercher les moyens de plaire à sa dame et s’habilla plus curieusement qu’il n’avait fait ; car, au lieu qu’il avait accoutumé de changer de linge que tous les mois, il en changea tous les quinze jours ; à chaque matin il retroussa sa moustache avec le manche d’une petite cuiller à marmite, et le ravaudeur notre