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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/209

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taines façons de parler qui lui semblaient merveilleuses, parce qu’elles étaient pas communes, bien que ce fût autant de fautes dont une fruitière du coin des rues l’eût repris, et ses beaux auteurs aussi. Je m’en vais vous redire un discours qu’il tint à sa maîtresse, suivant ceux qu’il avait lus, un jour qu’il la trouva toute seule chez elle, comme il allait tout exprès visiter son père :

— Mademoiselle, lui dit-il, je gagne en perdant, et si, je perds en gagnant, à raison qu’en perdant la fréquentation de monsieur votre père je gagne la vôtre, qui me fait encore perdre d’une autre façon, car je perds ma franchise, en vous oyant discourir. Les incomparables charmes de vos incomparables perfections, que l’on ne peut assez magnifier, se tiennent si bien sur leurs pieds en assaillant, que ce serait être orbe de raison[1] que de croire de pouvoir se défendre ; par quoi ce serait toujours la cause par laquelle je me dirai votre incomparable serviteur.

Frémonde, ainsi s’appelait la demoiselle, à peine put trouver une réponse à des propos si extravagants. En peu d’heures, elle reconnut la sottise du personnage qu’elle n’avait jamais vue si manifestement découverte. C’était une bonne marchande[2] : les grands drôles du collège, avec qui je me mettais déjà, me disaient qu’ils voyaient à son encolure qu’elle était du métier, et continuement ils ne s’abusaient en façon quelconque : car, étant demeurée privée de sa mère dès l’âge de quatre ans, son humeur joviale et volage la portait en beaucoup d’excès d’amour envers des jeunes hommes qui la courtisaient, à la vue même de son père, qui ne se mettait

  1. ndws : privé de raison, cf. éd. Roy, t. II, p. 13.
  2. ndws : une bonne marchande, une femme qui se prostitue, idem, une finette, cf. Oudin, op. cit., p. 329.