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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/211

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ce maître pédant lui avait fait, il y avait quelques jours, et résolut, avec lui, d’en prendre un plaisir singulier. J’entendis à bâtons rompus leurs propos et dis incontinent :

— Je vous jure, mademoiselle Frémonde, qu’il est devenu amoureux de vous ; car, toutes les fois qu’il me voit, il me dit que vous êtes extrêmement parfaite, et me demande si je ne sais point de vos nouvelles.

— Mon Dieu ! Francion, répondit Frémonde, faites-moi ce plaisir que de lui faire accroire qu’il est infiniment en mes bonnes grâces et que je ne vis jamais homme si éloquent que lui.

Dès que je lui pus parler familièrement, je ne manquai pas à m’acquitter de cette charge encore mieux que Frémonde n’espérait ; car je le disposai à l’aller voir dès le lendemain et à lui parler ouvertement d’amour.

Voici sa belle communication de mot à mot : « Comme ainsi soit que vos attraits prodigieux aient dépréhendé mon esprit, qui avait auparavant blasphémé contre les empanons des flèches de Cupidon, je dois non seulement implorer les autels de votre douceur, mais encore essayer de transplanter cette incomparable influence du ciel où séjourne votre divinité, en la terre caduque où m’attachent mes défauts. Partant, ne pouvant qu’injustement adresser mon cœur qu’à vous, dès l’instant que je devins merveilleusement amoureux de si amoureuse merveille que vous êtes, je résolus de le sortir de sa place quotidienne, et l’offrir à vos pieds, bien qu’il fût fait rebellions générales en mon jugement et en ma raison, qui pensèrent toutefois à la fin que ma liberté aurait si bien