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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/215

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maître que lui ; puis, après, voyant son étude ouverte, j’entrai dedans, tout d’un saut.

— Qu’allez-vous faire là-dedans ? me dit-il.

— Je vais chercher votre Ovide, Dominé, lui répondis-je.

— Il est au coin de mes tablettes, répliqua-t-il.

Je n’avais que faire de l’Ovide et eusse plutôt eu affaire d’un os plein ; partant je ne laissai pas de le prendre pour faire la mine, et, trouvant la bouteille d’hypocras, qui était trop grande pour la cacher dedans mes chausses, je l’attachai à une aiguillette derrière mon dos ; forgeant une subtilité admirable, je sors, tenant l’Ovide en ma main, et, marchant toujours à reculons, je dis à mon maître, qui n’avait garde à cette heure-là de tenir la vue sur son livre :

— Monsieur, j’ai tant envie de retenir en ma mémoire la révérence que l’on porte au Grand-Turc, que je veux maintenant m’en aller d’auprès de vous comme si vous l’étiez.

Je me reculai donc jusqu’à la porte avec des postures de bouffon qui le firent rire ; et, de cette sorte, ayant dérobé sa bouteille sans qu’il l’eût vu, je l’allai décoiffer en mon étude, où j’avalai de bonnes gorgées ; mais, de peur de me rencontrer devant lui lorsqu’il serait en la fureur qui le posséderait, s’étant aperçu du larcin, tout aussitôt je retournai en sa chambre, où je lui demandai congé de sortir, ce que j’obtins avec un exeat. Et, ayant pris ma bouteille sous mon manteau, je fus la vider chez un écolier de ville de mes amis ; puis après je m’en allai trouver Frémonde, avec laquelle je ne crai-