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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/22

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II

la brutalité de leurs semblables et de la leur qui n’est pas moindre.

C’est ici une philosophie qui n’est jamais venue dans la cervelle de tous nos vieux rêveurs. Je me doute bien que, comme ceux qui ont un verre peint devant les yeux ne peuvent voir les choses en leur propre couleur, presque tous ceux qui liront mes écrits, ayant le jugement offusqué, feront tout une autre estime de mes opinions qu’ils ne devraient. Mais je ne m’en affligerai pas beaucoup ; car la vertu, qui est entièrement céleste, participe à l’essence de la divinité qui ne tire sa gloire que de soi. C’est une chose manifeste que la satisfaction qu’elle a en elle-même de s’être dignement exercée, lui sert d’une récompense que rien ne peut égaler.

Pour revenir à mon premier propos, je confesse qu’il m’était facile de reprendre les vices sérieusement, afin d’émouvoir plutôt les méchants à la repentance qu’à la risée. Mais il y a une chose qui m’empêche de tenir cette voie-là ; c’est qu’il faut user d’un certain appât pour attirer le monde. Il faut que j’imite les apothicaires qui sucrent par le dessus les breuvages amers, afin de les faire mieux avaler.

Une satire dont l’apparence eût été farouche eût diverti les hommes de sa lecture par son seul titre. Je dirai par similitude que je montre un beau palais qui par dehors a apparence d’être rempli de liberté et de délices, mais au-dedans duquel l’on trouve néanmoins, lorsque l’on n’y pense pas, des sévères censeurs, des accusateurs irréprochables et des juges rigoureux. La corruption de ce siècle où l’on empêche que la vérité soit ouvertement divulguée me contraint d’ailleurs à faire ceci et à cacher mes principales repréhensions sous des songes qui sembleront sans doute pleins de niaiseries à des ignorants qui ne pourront pas pénétrer