Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
199

je ne vais que là où l’on me mène : mon pauvre luminaire est éteint : un homme, que je ne connais pas, m’a fait venir et a renvoyé mes yeux à la maison, leur disant que je n’avais que faire d’eux jusqu’à demain matin, qu’ils me viendraient querir.

— Qu’est-ce à dire, vos yeux ? dit le principal.

— J’appelle ainsi un petit garçon qui me conduit, répond le vielleux, parce qu’il me dit ce qu’il voit dans la rue, et je le reçois en mon imagination comme si je le voyais aussi. Ô bon Giésus ! je voudrais qu’il fût ici, pour me mener coucher autre part que céans, où l’on m’a déjà bien fait du mal : tantôt j’ai demandé à boire, l’on m’a donné un verre dont le pied était tout emmerdé ; et, quoique l’odeur m’en déplût, la soif que j’avais m’a forcé de le porter à ma bouche, qui, en s’ouvrant fort large, a englouti beaucoup d’urine qui était dedans avant que j’eusse reconnu que ce n’était pas du vin. Ce n’était pas tout : ce beau musicien-ci, qui jouait avec moi, m’a battu comme plâtre, après m’avoir bien dit du latin, qui me froissait autant l’âme que les coups de ses poings me froissaient les côtes. Ô ! quiconque vous soyez, qui parlez à moi, je pense que vous me connaissez bien, pour ce que vous avez tenu quelques discours de l’enseigne d’un cabaret où je loge, qui est le Phénix, reconduisez-m’y donc, et je vous baillerai un blanc.

— Ce n’est pas à moi qu’il faut adresser de telles prières ni de telles offres, dit le principal, je ne m’en fâche pas pourtant, mon ami, car vous n’avez pas ici vos yeux pour voir qui je suis : cherchez un autre conducteur.

Pendant ce colloque, Hortensius remettait son ménage