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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/226

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en ordre, et le vielleux, l’ayant alors arrêté par le bras, lui dit :

— Ho ! monsieur, j’ai joué toute la soirée, l’on m’avait promis un quart d’écu pour mon salaire, donnez-le moi.

— Hé ! mon ami, dit Hortensius, n’as-tu pas pris autant de contentement à m’entendre jouer de la viole que moi à t’entendre jouer de la vielle, et si ne te demandé-je de l’argent pour récompense.

— Ho ! mais vous avez dansé auparavant, réplique le vielleux, et vous ne pouvez pas dire que votre danse m’ait donné du plaisir, et que, pour cela, je ne dois point être payé, car je ne l’ai vue en façon quelconque.

— Que ceux qui t’ont mis en besogne te payent, dit Hortensius ; tu ne saurais rien montrer de ton ouvrage : tout s’est évanouï avec la vue, et cependant tu veux que l’on te baille réellement et de fait un quart d’écu, qui demeure dans ta pochette.

— Voilà-t-il pas la misère du siècle ? dit le vielleux. Hélas ! notre état n’est plus estimé comme il était autrefois : j’ai vu que les douzaines tombaient plus dru dans ma gibecière que ne font à cette heure-ci les doubles. J’allais jouer devant les rois et l’on me faisait mettre au bout de la table.

— Réconfortez-vous, mon ami, dit le principal, je vous ferai payer. Monsieur Hortensius, voulez-vous retenir le salaire de ce pauvre homme ? Mais, dites-moi, quelle fantaisie vous a pris de jouer avec lui ?

— Ne vous l’ai-je pas dit déjà ? répond Hortensius ; je m’en vais aller chercher où est allée la compagnie.