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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/236

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— Vivait-il en homme de sa qualité ? ajouta l’avocat ; combien avait-il de chiens ?

— Rien qu’un.

— Quel chien était-ce ?

— Un grand mâtin, répondit encore le villageois.

— Il n’allait donc point à la chasse ? dit l’avocat.

— Je l’ai vu une fois aller à la chasse d’un loup qui avait dévoré un de ses moutons ; et, pour montrer sa vaillance, ce fut lui qui le tua d’un seul coup de pierre qu’il jeta avec sa houlette.

— Voilà qui va des mieux, dit l’avocat en riant ; il se servait de houlette au lieu d’arquebuse, encore qu’il eût été à la guerre. Mais de son mâtin, qu’en faisait-il ?

— Il lui servait à garder son troupeau, tandis qu’il s’en éloignait un peu, pour s’occuper à faire avec certains bois de petites croix et de petites figures, tant pour éviter l’oisiveté que pour aider à gagner sa vie.

Alors il se fit un petit éclat de risée, qui eût été plus grand sans la présence d’Hortensius, que l’on avait envie de traiter respectueusement, pour avoir plus de plaisir de lui.

— Tellement donc, mon ami, dit incontinent l’avocat, que nous apprenons de vos discours que le père de monsieur gardait les moutons, et était réduit à travailler de ses mains pour se subvenir. Mais il n’en doit point être honteux, poursuivit-il en souriant ; car lui, qui a grandement lu, sait bien qu’autrefois les princes étaient bergers, et qu’encore maintenant l’innocence et la tranquillité de cette condition est beaucoup estimée.

Hortensius, voyant que la faute du paysan était irré-