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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/24

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IV

sans avoir égard à autre chose qu’à y mettre quelque aventure qui délecte les idiots.

Mais je ne parle pas principalement à eux, c’est à ceux qui se mêlent d’écrire. Je serai bien aise qu’ils fassent un meilleur livre avec aussi peu de temps et aussi peu de soin comme celui-ci a été fait. Je n’ai pas composé moins de trente-deux pages d’impression en un jour et si, encore a-ce été avec un esprit incessamment diverti à d’autres pensées, auxquelles il ne s’en fallait guère que je ne me donnasse entièrement. Aucunes fois, j’étais assoupi et à moitié endormi et n’avais point d’autre mouvement que celui de ma main droite. L’on peut juger que si je faisais alors quelque chose de bien, ce n’était que par accoutumance. Au reste à peine prenais-je la peine de relire mes écrits et de les corriger ; car à quel sujet me fussé-je abstenu de cette nonchalance ? On ne reçoit point de gloire pour avoir fait un bon livre, et quand on en recevrait, elle est trop vaine pour me charmer. Il est donc aisé à connaître, par la négligence que j’avoue selon ma sincérité consciencieuse, quel rang pourront tenir justement les ouvrages où sans m’épargner, je voudrai porter mon esprit à ses extrêmes efforts. Mais ce n’est pas une chose assurée que je m’y puisse adonner ; car, comme je l’ai déjà dit, je hais fort les inutiles observations à quoi nos écrivains s’attachent. Jamais ce n’a été mon intention de les suivre, et, étant fort éloigné de leur humeur comme je suis, l’on ne me saurait mettre en leur rang sans me donner une qualité que je ne dois pas recevoir. Leur âme sert indignement à leur plume et je veux que ma plume serve à mon âme. Ils occupent incessamment leur imagination à leur fournir de quoi contenter le désir qu’ils ont d’écrire, lequel précède la considération de leur capacité ; et moi, je n’écris que pour mettre en ordre les conceptions que j’ai eues longtemps auparavant. Ils