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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/241

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l’embrassant avec des caresses qui sentaient un peu le collège et qui étaient si rudes qu’elle laissa casser tout ce qu’elle portait. Sa maîtresse, en ayant entendu le bruit, la cria très bien, lorsqu’elle fut auprès d’elle, et cela lui fit concevoir une haine contre moi : de sorte que, comme je l’eus encore accostée et lui eus demandé en termes intelligibles si elle voulait coucher avec moi, elle se délibéra de prendre de moi une petite vengeance.

Elle avait donné assignation pour cette nuit-là à un marchand qui était arrivé devant moi, et pourtant elle ne laissa pas de me dire que je la trouverais, sur les onze heures du soir, dedans sa chambre qu’elle me montra. L’ayant baisé sur cette promesse, je lui baillai libéralement deux quarts d’écu qu’elle me demanda, craignant qu’elle fît la revêche si je lui refusais.

Le temps venu, je m’en allai droit vers sa porte que je trouvai ouverte, et me glissai jusque dans son lit, où couchait encore une autre vieille servante, sa compagne, qu’elle y avait laissée tandis qu’elle était allée contenter le marchand. Cette pièce antique ronflait d’un ton fort haut qui me faisait étonner comment une fille si belle, comme celle pour qui je la prenais, dormait de cette façon. Je la tirai doucement par le bras pour la réveiller et, voyant qu’elle ne mettait point de fin à son sommeil, ne me laissai pas de me ruer dessus tant j’avais hâte d’assouvir mon désir, et de l’enfiler comme un grain de chapelet : ce qui me fut très facile à faire, car l’ouverture était si grande que j’y étais comme dans un large palais où l’on se promène tout à l’aise. Je la secouai si vivement qu’elle se réveilla et commença de soi-même