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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/246

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renvoyât d’autre, c’eût été une chose plus nuisible que profitable, car elle eût cru que je l’eusse perdu au jeu, et ne m’eût donné que des réprimandes ; elle ne m’écrivait même pas une lettre qu’elle n’essayât de m’y représenter que j’étais plus pauvre que je ne pensais, et que mon père avait laissé plusieurs dettes, et qu’elle ne m’accusât aussi de négligence de n’avoir point encore cherché de condition, comme je le lui avais promis partant. Je fus donc contraint de reprendre un vieil habit gris et un manteau de couleur de roi qu’il y avait longtemps que je ne mettais plus. J’étais si mal accommodé avec, qu’il n’y en avait guère qui eussent tant de jugement qu’ils me pussent prendre pour le fils du brave capitaine de La Porte.

Néanmoins, je ne laissais pas de sortir plus que jamais, tant j’avais alors envie de savoir comment l’on se gouvernait par toute la ville, ce qu’étant au collège je n’avais pas eu le soin de considérer. Le lendemain de la Saint-Martin je m’en allai au palais, où je n’avais jamais été plus de trois fois, encore était-ce pour acheter des gants. Étant sur les degrés, je vis descendre un jeune homme de mon âge, que j’avais fréquenté dans le collège, lequel était vêtu d’une robe rouge : il me souvenait qu’il avait assez bonne voix ; je pensai qu’il était un des enfants de chœur de la Sainte-Chapelle, et ne m’en mis point en peine davantage. Si une foule de peuple ne m’eût éloigné de lui, j’eusse été l’aborder encore avec le sobriquet que l’on lui donnait en classe, et lui eusse dit des railleries que l’on lui disait ordinairement touchant son père qui était un des plus vilains usuriers et mercadans[1] du monde.

  1. ndws : terme de mépris signifiant un marchand de légères merceries, ou un marchand ruiné, cf. Furetière t. II.