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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/250

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— Et comment a-t-il acquis cette charge ? dis-je alors.

— Par son bon argent, répondit le solliciteur.

— Tellement que le plus abject du monde, ce dis-je, aura une telle qualité, et se fera ainsi respecter, moyennant qu’il ait de l’argent. Ah ! bon Dieu, quelle vilenie ! comment est-ce donc que l’on reconnaît maintenant la vertu ?

Ayant tenu ce propos je quittai le solliciteur, et m’en allai dans une grande salle pleine de monde qui trottait d’un côté et d’autre comme des pois qui bouillent dans une marmite. Pour moi, si l’on m’avait porté dormant à un tel lieu que celui-là, je croirais à mon réveil être dedans les enfers. L’un crie, l’un tempête, l’autre court, et l’on en mène quelques-uns en prison avec violence ; de tous côtés l’on ne voit personne de content.

Après avoir considéré ces témoignages de la brutalité des hommes, je m’en retournai chez moi si dépité, que je ne le vous saurais exprimer du tout. L’après-dînée, étant à la fenêtre, je vis passer par la rue mon jeune badaud de conseiller ; mais en quel équipage pensez-vous ? En équipage de seigneur. Jamais je ne fus plus étonné : comment, il avait un manteau couleur d’amarante, de velours doublé de peluche, un haut-de-chausse aussi de velours de la même couleur, et un pourpoint de satin blanc. Son côté était muni d’une épée à la Miraumonte, et il était monté sur un barbet et suivi de trois laquais. Je m’enquis de mon hôte si, à Paris, les hommes de robe longue étaient aussi hommes d’épée. Il me répondit, que de jeunes gens comme le conseiller que je venais de voir, ne prenaient la robe que pour avoir une qualité