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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/252

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que je vis derrière lui dix ou douze laquais avec le bâton et l’épée, qui faisaient mine d’être par là pour le défendre. Néanmoins je lui dis qu’il avait tort de me toucher, vu que je ne l’avais jamais offensé. Alors lui et ses compagnons ouvrirent la bouche quasi tous pour m’appeler bourgeois ; car c’est l’injure que cette canaille donne à ceux qu’elle estime niais, ou qui ne suivent point la cour. Infamie du siècle, que ces personnes, plus abjectes que l’on ne saurait dire, abusent d’un nom qui a été autrefois et est encore en d’aucunes villes si passionnément envié ! Toutefois, sachant qu’ils ne me le baillaient que pour une injure, je pris la hardiesse de leur dire qu’ils regardassent de plus près à qui s’adressaient leurs paroles, et que je n’étais pas ce qu’ils pensaient. En m’entourant à cette heure-là, ils me demandèrent, avec des risées badines et hors de propos, qu’est-ce que j’étais donc, si je n’étais bourgeois.

— Je suis ce que vous ne serez jamais, leur répondis-je, et que vous ne désirez pas possible d’être ; d’autant que vous n’avez pas assez de courage pour le faire.

De parler ainsi à ces ignorants, c’était leur parler grec ; et je me repentis bien de m’être amusé à des bêtes brutes contre lesquelles l’on ne se doit point courroucer, encore qu’elles nous baillent quelque coup de pied, parce qu’elles sont privées de raison et n’ont pas le sentiment, quand l’on les châtie, de connaître que c’est afin qu’elles n’y retournent plus.

Cette considération m’étant venu à l’esprit, je me retirai à quartier ; mais la maudite engeance, pensant être offensée par les dernières paroles que j’avais dites