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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/253

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s’en vint me persécuter. Le page faisant semblant de vouloir cogner contre la terre avec son bâton, me frappait bien serrément[1] sur les pieds, et fallait qu’à tous coups je les levasse comme si j’eusse été en courbettes. Les laquais, en niaisant, venaient aussi me faire algarade, et même il y en eut d’entre eux qui dit qu’il me fallait bailler les seaux[2]. À cette parole, démesurément irrité, je me laissai emporter à mes premiers mouvements, et leur dis en me déboutonnant tout d’un coup, et après avoir juré comme un charretier embourbé :

— Venez-vous là dehors avec moi, et, m’ayant donné une épée, assaillez-moi tous tant que vous êtes, vous verrez si je vous craindrai, vile canaille ; vous n’êtes courageux que quand vous êtes tous ensemble contre un seul qui n’a point d’armes. Si vous n’avez envie de me gratifier, me laissant mourir valeureusement étant sur ma défense, que quelqu’un de vous se dépêche de me tuer, car aussi bien ne vivrai-je plus qu’à regret, après avoir enduré de si sensibles affronts que ceux que vous me faites ; et, si d’un autre côté, j’ai des infortunes qui me font désirer la mort.

Leur rage aveugle et insensée s’enflammait par ces paroles, lorsqu’une grande masse de chair, couverte d’un habit de satin bleu passementé d’or, s’approcha d’eux : je ne sais pardieu si c’était un homme, mais au moins j’y en voyais la forme au corps ; quant à l’âme, elle était toute brutale : c’était un baron, à ce que j’entendis depuis. Il était le maître du petit page qui me persécutait, et disait à trois buffles qui le côtoyaient le chapeau à la main :

  1. ndws : avec force, violemment, cf. éd. Roy, t. II, p. 62.
  2. ndws : prendre une personne par les bras et les jambes, et lui faire donner du cul en terre, cf. Oudin, op. cit., p. 501.