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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/254

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— Mort-non-pas-de-Dieu, n’ai-je pas un page qui est gentil garçon ? Regardez les plaisanteries qu’il fait ; il est courageux ; il a de l’esprit !

Le page, oyant la louange que lui donnait son maître, se délibéra de paraître encore davantage en la vertu, pour laquelle il l’estimait, et s’en vint me donner une nasarde ; mais je le repoussai si rudement, que je le pensai faire tomber. Le baron, qui avait l’œil dessus lui, s’en colère, car je pense qu’il lui touchait de près, et qu’il le tournait à l’envers bien souvent, son corps ayant une assez attrayante beauté. Et retroussant sa moustache d’une main, et me menaçant de l’autre, il me dit :

— Holà ! ho ! courtaud, si vous frappez mon page, je vous ferai bailler les étrivièreswkt-2 sans miséricorde.

M’oyant appelé du sobriquet que l’on donne aux valets de boutique, de la condition desquels j’étais plus éloigné que le ciel ne l’est de la terre, je me résolus de lui montrer la sottise du jugement qu’il faisait de moi. Je me présente devant sa badaude de personne, et lui dis :

— Je ne m’offense point de ce que vous dites, car cela ne s’adresse point proprement à moi ; il n’y a que ceux qui ont la qualité que vous m’attribuez qui se doivent ressentir du peu d’estime que vous faites d’eux. Quant à moi, étant en un état plus élevé que le leur, et par aventure aussi éminent que le vôtre, je ne me sens aucunement touché. En tous cas, ce méchant habit qui me couvre, et qui vous a fait concevoir de moi une mauvaise opinion, pourrait bien aussi se tenir injurié ; mais qu’il vide sa querelle tout seul, je n’y veux point avoir de part.