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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/255

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Ces paroles proférées, je dirai bien sans vanité, avec une grâce qui n’est point dans le vulgaire, furent ouïes d’un gentilhomme qui se promenait tout proche, et qui connut bien que de telles raisons ne pouvaient venir que dedans un esprit des mieux timbrés, au lieu que le baron, le plus grand Ase[1] de la cour, n’eut pas seulement l’intention de s’imaginer ce que voulait signifier le moindre de mes mots. Le gentilhomme, ayant pitié de moi, pour me tirer de la fureur des âmes barbares, me conseilla à l’écart de m’en aller par une autre porte que par celle où j’étais entré : je suivis donc son avis, en donnant mille blâmes à la noblesse de ce siècle, qui se fait suivre par des vauriens dont la méchanceté lui plaît tant, qu’elle les incite à outrager toute sorte de personnes.

Mais hélas, ce ne fut pas seulement par ces gens-là que je me vis maltraité et méprisé : je le fus même par ceux qui font le plus profession d’honneur et de modestie. En quelque lieu que je fusse, il n’y avait bourgeois qui voulût permettre que j’eusse une plus éminente place que lui. Dans les rues, l’on me frappait quelquefois du coude afin de me faire aller du côté du ruisseau, et m’appelait-on gueux si je témoignais mon ressentiment par quelque parole piquante. Qui plus est (voyez l’extrême malheur de la pauvreté, que l’on croit toujours avoir le vice pour compagnon) une fois l’on avait perdu une bourse dedans une presse, et l’on eût soupçonné que c’était moi qui l’avais prise, si, par certaines paroles et actions, je n’eusse contraint aussitôt d’avoir une très bonne opinion de moi.

Vous me direz que je ne pouvais tomber en ces incon-

  1. ndws : âne, mot gascon, cf. éd. Roy, t. II, p. 65.