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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/260

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naire fut de composer des vers sur la haine que je portais à la malice du siècle et sur l’amour que j’avais pour la gentille Diane. Mais, hélas ! mon Dieu, quels ouvrages c’étaient au prix de ceux que je pourrais maintenant faire ! Tout était à la mode du collège, et n’y avait ni politesse, ni jugement ; aussi, je jurerais bien que je n’avais lu encore pas une bonne pièce, et les auteurs dont je pouvais apprendre quelque chose m’avaient été inconnus, autant par ma négligence qu’autrement ; de sorte que cela n’était pas moins à admirer que ce que font les vieux chantres de Grèce dans les œuvres desquels nous trouvons tant de remarquables fautes, à cause que tout venait de leur veine, qu’ils n’avaient rien à se proposer pour patron, et qu’une chose ne peut en même temps être inventée et rendue parfaite.

Reconnûtes-vous jamais mieux qu’à cette heure que les Muses se plaisent d’habiter avec la pauvreté ? Vous voyez fort peu qu’un homme riche ait jamais envie de faire des vers ; aussi les grandes possessions des biens de fortune sont cause que l’on s’affainéantit, et que l’on néglige de posséder les biens de la vertu. Néanmoins, quant est de la poésie, il n’y a rien qui plaise tant à l’esprit, et l’usage que nous en avons met la plus grande distinction entre nous et les brutes.

Hélas, mon Dieu ! ce fut en ce temps-là que je me vis frustré de toutes les espérances que j’avais tellement nourries en mon âme. J’avais tracé mes aventures à venir sur celles de quelques grands personnages dont j’avais lu l’histoire, et m’imaginais qu’infailliblement j’aurais un sort pareil au leur, me fiant sur mon courage