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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/266

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gent au marchand, à qui je demandai, dès qu’il fut parti, s’il lui en faisait crédit de cette sorte.

— Je les lui prête, répondit-il ; je suis contraint d’en faire ainsi à un tas de personnes comme lui, qui se trouvent tous les jours dans ma boutique pour se communiquer ensemble leurs ouvrages.

— Ce sont donc des poètes.

— Oui, reprit-il ; ici se font leurs plus grandes assemblées ; tellement qu’il n’y a point de lieu en France qui doive plus justement porter le nom de Parnasse.

— Quel profit tirez-vous de leurs conférences ? ce dis-je.

— La perte de beaucoup de livres ; qu’ils empruntent et ne les rapportent point, répondit le marchand en riant.

— Si je n’étais que de vous, je chasserais bien cette chalandise-là, lui repartis-je.

— Je n’ai garde pour moi, me dit-il ; car il y en a toujours quelqu’un entre eux qui me donne quelque copie à faire imprimer, et puis ma boutique en est plus renommée.

Après ce devis, je m’informai de tous les poètes du temps, dont j’appris les noms, et sus même que celui que je venais de voir était à la vérité, des plus renommés. Le libraire, alors, me voulant obliger, me promit que, si je lui donnais quelques-unes de mes pièces, il les montrerait à ces gens-là, sans leur en nommer l’auteur, pour savoir d’eux ce qu’il y aurait de manque. Le désir que j’avais de bien faire au goût de tout le monde me fit prendre ce parti, et, dès le lendemain, je lui apportai