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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/268

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vendus pour avoir de quoi vivre. Quelques-uns ne montaient ni ne descendaient, et ne paraissaient point plus en un jour qu’en l’autre : les uns vivaient de ce que l’on leur donnait pour quelques copies, et les autres dépensaient le peu de bien qu’ils avaient, en attendant qu’ils eussent rencontré quelque seigneur qui les voulût prendre à son service, ou qui leur fît bailler pension du roi. Au reste, il n’y en avait pas un qui eût un grand et véritable génie. Toutes leurs inventions étaient imitées, ou se trouvaient si faibles, qu’elles n’avaient aucun soutien. Ils n’avaient rien outre la politesse du langage ; encore n’y en avait-il pas un seul qui l’eût parfaitement ; car si le plus habile d’entre eux évitait une chose, il choppait[1] en une autre. Plusieurs ne faisaient que traduire des livres ; qui est une chose très servile : et lorsqu’ils voulaient composer quelque chose d’eux-mêmes, ils faisaient des grotesques ridicules. Par ma foi, je les plains, les pauvres gens ; ils écrivaient sur l’imagination qu’ils avaient d’être bons écrivains, et se trompaient ainsi tout doucement. Néanmoins il y a des livres de leur main qui sont très estimés aujourd’hui ; mais, je vous dirai, c’est à faute d’autres meilleurs. Il faut bien se passer à[2] ce que l’on a, malgré son envie ; et moi-même j’ai bien été quelquefois forcé de les lire, ne trouvant rien autre chose pour me divertir. Ce sont de belles pièces, ma foi, que deux ou trois romans de leur façon, que l’on prise. Je veux que l’on m’ôte la vie, si je ne montre dans chacun des fautes dignes du fouet.

Un jour, je me trouvai en leur compagnie, et sur quelques vers que l’on avait lus, de grosses disputes s’émurent

  1. ndws : heurter du pied contre quelque chose en sorte qu’on soit en danger de tomber, cf. Huguet, op. cit., p. 77.
  2. ndws : se contenter… Il ne se passera pas à celà., cf. Huguet, op. cit., p. 282.