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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/270

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a formé son écriture sur sa parole, et cherché les lettres qui, liées ensemble, eussent le son des mots. Il m’est donc avis que nous devrions faire ainsi, et n’en point mettre d’inutiles ; car à quel sujet le faisons-nous ? Me direz-vous que c’est à cause que la plupart de nos mots viennent du latin ? et c’est là une occasion de ne le suivre pas : il faut montrer la richesse de notre langue, et qu’elle n’a rien d’étranger. Si l’on vous faisait des gants qui eussent exigé six doigts, vous ne les porteriez qu’avec peine et cela vous semblerait ridicule. Il faudrait que la nature vous fît à la main un doigt nouveau, où que l’on ôtât le fourreau inutile ; regardez si l’on ne ferait pas ce qui est le plus aisé. Aussi, parce qu’il n’est pas facile de prononcer de telle sorte les mots, que toutes leurs lettres servent, que d’ôter ces mêmes lettres inutiles, il est expédient de les retrancher. En pas une langue vous ne voyez de semblable licence, et quand il y en aurait, les exemples mauvais ne doivent pas être suivis plus que la raison. Considérez que la langue latine, même, dont, à la vérité, la plupart de la nôtre a tiré son origine, n’a pas une lettre qui ne lui serve.

— Par la mort du destin, dis-je alors, voilà bien harangué pour le repos de la chose publique : je ne dis pas que vos raisons ne soient bonnes ; mais où est le moyen de les faire suivre, et où est même celui d’entre le peuple qui les approuvera ? Il vaudrait beaucoup mieux retrancher tant de choses mauvaises, qui sont superflues en nos mœurs et en nos coutumes, que non pas songer à retrancher des lettres qui ne font mal à personne, les pauvres innocentes. Quant aux paroles nou-