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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/272

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Vanini, vous ne jurez que par lui à tous les coups, comme si vous étiez des chrétiens fort dévots, qui voulussent toujours avoir son nom à la bouche.

Notez que je leur disais ceci encore parce que la plupart étaient libertins ; mais leur humeur franche, et qui vraiment est louable en ce point, ne s’offensa pas de ce que je leur reprochais. Sans doute ils avaient quelque chose de meilleur en eux que le vulgaire, et principalement en ce qu’ils ne me prisaient pas moins pour me voir mal accommodé[1]. En contrepoids, ils avaient aussi des vices insupportables : c’étaient les plus fantasques et les plus inconstants du monde ; rien n’est plus frêle qu’était leur amitié : en moins d’un rien, elle se dissipait comme la glace d’une nuit ; rien n’est plus volage qu’était leur opinion : elle se changeait à tout propos, et pour des occasions très injustes. Leurs discours étaient le plus souvent si extravagants, qu’il semblait qu’ils fussent insensés. Quand je leur récitais mes vers, ils les trouvaient, à leur dire, les mieux faits du monde ; moi éloigné, ils en médisaient devant le premier dont ils faisaient rencontre : ils jouaient de ce même trait les uns entre les autres ; de sorte que la renommée de chacun s’apetissait : ils s’adonnaient à écrire avec trop d’affectation, et n’avaient point d’autre but. En allant même par la rue, la plupart marmottaient entre leurs dents, et tiraient quelques sonnets par la queue. Tous leurs entretiens n’étaient que sur ce sujet. Encore qu’ils décrivissent les faits généreux de plusieurs grands personnages, ils ne s’enflammaient point de générosité et ne partait d’eux aucune action recommandable. Avec tout

  1. ndws : mal à son aise, cf. Huguet, op. cit., p. 2.