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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/273

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cela, c’étaient les gens les plus présomptueux de la terre. Chacun croyait faire mieux que tous les autres, et se fâchait lorsque l’on ne suivait pas ses opinions. Je connus par là que le vulgaire avait raison de les mépriser, et dis plusieurs fois même qu’ils voulaient faire profession d’un bel art dont ils étaient indignes et envers lequel ils attiraient le mépris, en le pratiquant mal. Depuis ils me furent si odieux, que je tâchai d’éviter leur rencontre, avec plus de diligence qu’un pilote n’essaye de s’éloigner des Syrtes.

Environ en ce temps-là, ma mère m’envoya beaucoup d’argent, dont je me fis habiller d’une façon qui paraissait infiniment. C’était l’été ; je fis faire un habit de taffetas colombinwkt-2 avec les aiguilletteswkt, les jarretières et le bas de soie de couleur bleue. Je me mis à une pension plus basse que celle où j’avais toujours été ; et l’argent que j’épargnais en cela fut depuis employé à doubler mon manteau d’un autre taffetas bleu. Car voyez les belles coutumes que la sottise a introduites, et que le peuple s’ébat à suivre : l’homme qui n’a qu’un manteau de taffetas simple est moins estimé que celui qui en a un de deux taffetas, et l’on fait encore moins d’état de vous si vous en portez un de serge doublé seulement de quelque étoffe de soie. Entre les femmes il y a bien d’autres nivetteries[1] ! j’entends entre les bourgeoises : celles qui ont les cheveux tirés, ou la chaîne sur la robe, sont estimées davantage que les autres, qui ne sont pas ainsi parées.

Quand je pense à la vanité des hommes, je ne me saurais trop émerveiller comment leur esprit, qui sans doute

  1. ndws : niaiseries dignes de Jean de Nivelle, cf. éd. Roy, t. II, p. 102.