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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/274

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est capable de grandes choses, s’avilisse tant que de s’amuser aux plus abjectes de la terre. Mille coquins, qui passaient par la rue, se retournaient pour me regarder, et moi, qui ai ce bienfait des cieux de pouvoir lire dans les pensées, je connaissais bien que quelques-uns se donnaient de la présomption, parce que leur habit valait par aventure plus que le mien, et que quelques autres moins braves étaient au contraire envieux de ce que je portais.

Alors il ne s’écoulait point de jour que je ne passasse cinq ou six fois devant la porte de ma Diane, afin de lui jeter des œillades qui lui fissent connaître l’extrême affection que j’avais pour elle. Mais cela ne servait de rien ; car, étant pourvue d’une infinité d’appâts, il y en avait bien d’autres que moi que la regardaient, et je crois qu’elle ne se pouvait pas figurer que je fusse plus amoureux d’elle que les autres.

Je me résolus de lui écrire une lettre, pour lui manifester ma passion. Je la fis donc, mais en termes si honnêtes, que l’humeur la plus austère du monde n’eût pas pu s’en offenser. Vous savez de quelle sorte on procède en ces matières-là ; voilà pourquoi je ne vous dirai rien de ce poulet : qu’il vous suffise que je fis aussi plusieurs vers, pour lui faire donner avec. Il me souvient qu’il y avait un sonnet sur son jeune sein, que j’avais vu croître petit à petit depuis que j’étais devenu amoureux d’elle ; puisque je l’ai encore en mon souvenir, il faut que je vous le dise, non pas pour vous montrer que je fais bien des vers ; car, si je voulais témoigner, je vous réciterais une meilleure pièce. Le voici :