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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/279

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tant d’assurance, quoiqu’elle eût blessé mon âme, qu’elle me regardait fixement, et, par aventure, avec moins de honte que je ne la regardais. À cause que son siège était bas et qu’il y avait des hommes au-devant d’elle, durant presque tout le service, elle se tint debout afin que je la visse mieux. Je ne sais si je dois appeler cela cruauté ou bien douceur, car, d’un côté, elle m’obligeait, vu que je ne chérissais rien tant que sa vue ; mais, d’un autre aussi elle me faisait un grand tort, puisque chacun de ses regards m’était un trait vivement décoché. Quand je me fus retiré chez moi, j’en ressentis bien des blessures.

À quelques jours de là, je la rencontrai dans une rue fort large ; elle allait d’un côté, et moi d’un autre, et tous deux fort proches des maisons. Néanmoins comme attirés par un secret aimant, petit à petit, nous nous avançâmes si bien, que, quand elle passa par devant moi, il n’y avait plus que le ruisseau entre nous ; et qui plus est, nos têtes se touchaient presque, tant elles s’inclinaient par le languissement de notre âme, car cette belle avait de l’affection pour moi. Toutefois, je n’osais pas l’accoster, si quelqu’un ne me faisait acquérir sa connaissance.

La fortune me favorisa en ceci très avantageusement ; car un cousin de cette belle Diane, que j’avais fréquenté au collège, vint demeurer chez elle en ce temps-là. Je l’abordai un jour, et par manière d’entretien, lui ayant récité mes vers, il me dit que sa cousine en avait montré par excellence de tous de même. Connaissant la bienveillance que ce jeune homme-ci avait pour moi, je me délibérai de ne lui rien cacher, et lui ayant appris