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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/284

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que de dépendre. Je proposai à cinq ou six des plus grands de faire une compagnie la plus grande que nous pourrions, et de personnes toutes braves et ennemies de la sottise et de l’ignorance, pour converser ensemblement et faire une infinité de gentillesses.

Mon avis leur plut tant, qu’ils mirent la main à l’œuvre et ramassèrent chacun bonne quantité de drôles qui en amenèrent encore d’autres de leur connaissance particulière. Nous fîmes des lois qui se devaient garder inviolablement, comme de porter tous de l’honneur à un que l’on élirait pour chef de toute la bande de quinze jours en quinze jours ; de s’entre-secourir aux querelles, aux amours et aux autres affaires ; de mépriser les âmes viles de tant de faquins qui sont dans Paris, et qui croient être quelque chose, à cause de leurs richesses ou de leurs ridicules offices. Tous ceux qui voulurent garder ces ordonnances-là, et quelques autres de pareille étoffe furent reçus au nombre des braves et généreux (nous nous appelions ainsi), et n’importait pas d’être fils de marchand ni de financier, pourvu que l’on blâmât le trafic et les finances. Nous ne regardions point à la race, nous ne regardions qu’au mérite. Chacun fit un banquet à son tour : pour moi je m’exemptai d’en faire un, parce que j’avais été l’inventeur de la confrérie, et, si ayant été le Chef premier, j’eus après la charge de recevoir les amendes auxquelles on condamnait ceux qui tombaient en quelque faute que l’on leur avait défendu de commettre ; l’argent se devait employer à faire des collations : mais Dieu sait quel bon gardien j’en étais et si je ne m’en servais pas en mes nécessités.