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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/285

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Mes compagnons étaient si pernicieux et si prodigues, qu’ils vidaient librement leurs bourses et ne songeaient pas à ce que je faisais de ma recette. J’étais le plus brave de tous les braves ; et n’appartenait qu’à moi de dire un bon mot contre les vilains, dont je suis le fléau envoyé du ciel.

Le fils d’un marchand, ignorant et présomptueux au possible, arriva un jour dans une compagnie où j’étais ; il était superbement vêtu d’une étoffe à qui l’on n’en voyait guère de pareille en France ; je pense qu’il l’avait fait faire exprès en Italie ; à cause de cela, il croyait qu’il n’y avait personne qui se dût égaler à lui. Je remarquais qu’en marchant il enviait le haut bout, et que, quand l’on le saluait fort honnêtement, il n’ôtait non plus son chapeau que s’il eût eu la teigne : comme j’ai toujours haï de telles humeurs, je ne puis souffrir celle-là, et dis hautement à ceux qui étaient auprès de moi, en montrant au doigt mon sot :

— Mes braves, voici la principale boutique de sire Huistache (j’appelais ainsi son père par l’ancien titre), Dieu me sauve, s’il n’y a mis sa plus belle étoffe à l’étalage. Véritablement il y gagnera bien ; car on n’a pas besoin d’aller à sa maison pour voir sa plus riche marchandise : cette boutique-ci est errante, son fils la va montrer partout.

— Parlez-vous de moi ? me vint-il dire avec un visage renfrogné.

— Messieurs, ce dis-je en riant à mes compagnons, ne vous offensez-vous point de ce qu’il dit ? Il croit vraiment qu’il y a encore quelqu’un entre vous qui lui ressemble